Encore un jugement écartant les plafonds MACRON : Conseil de Prud'hommes du HAVRE, 07 MAI 2019
- A&D AVOCAT
- 18 mai 2019
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Dans un jugement du 07 mai 2019, le Conseil de Prud’hommes du HAVRE a, là encore, écarté l’application du barème MACRON lié à l’indemnisation due au salarié en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
Pour ce faire, le jugement a considéré, comme l’ont fait d’autres Conseils de Prud’hommes, que ce barème était contraire au droit international et au droit communautaire et plus précisément à la Convention OIT et à la charge sociale européenne.
Sa démonstration est implacable et permet de comprendre le mécanisme du contrôle de conventionnalité (compatibilité entre les dispositions françaises et les normes internationales et européennes) aboutissant à ce que la loi nationale soit écartée dans son application :
« Que le barème doit être écarté en raison de sa contrariété aux normes internationales, communautaires et à des principes supra-légaux.
Que le barème des indemnités issues de l’ordonnance n° 2017–1387 du 22 septembre 2017 et codifié à l’article L 1235–3 du code du travail, est contraire au droit international et communautaire.
Que l’article 55 de la constitution de 1958 dispose que :
« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
Que le conseil d’État considère que :
« Si l’article 55 de la constitution subordonne l’application en France des conventions internationales à leur ratification et à leur publication, ces conventions une fois publiée doivent être appliquées dans toutes leurs dispositions, y compris celles qui leur confèrent un caractère rétroactif.
Que si le conseil constitutionnel est compétent pour contrôler la conformité des lois à la constitution (contrôle de constitutionnalité), le contrôle de la conformité des lois par rapport aux conventions internationales (contrôle de conventionnalité) appartient en revanche aux juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de cassation et du conseil d’État.
Que la Cour de cassation, puis le conseil d’État, se sont reconnus compétents pour procéder à ce contrôle de conventionnalité.
Que ce contrôle peut donc conduire, lors de l’examen d’un litige, à écarter la loi française pour faire prévaloir la convention internationale dans la résolution d’un litige.
Que l’article 24 de la charte sociale européenne révisée (1996), relatif au droit à la protection en cas de licenciement, dispose que :
« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître :
a) le droit des travailleurs à ne pas être licencié sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
Qu’à cette fin les parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial ».
Que cette charte sociale européenne révisée, qui a été signée (1996) et ratifiée par la France (1999), a été approuvée en droit interne (loi n° 99–174 du 10 mars 1999) et publiée au Journal Officiel de la république française (décret n° 2000–110 du 4 février 2000).
Que c’est la raison pour laquelle le conseil d’État considère que l’article 24 de la charte est d’application directe en droit interne et peut être invoqué par des particuliers dans le cadre de leur litige :
« Ces stipulations (l’article 24 de la charte), dont l’objet n’est pas de régir exclusivement les relations entre les états et qui ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers, peuvent être invoqués utilement » (conseil d’État, 10 février 2014, n° 358 992).
Que, dans une décision du 8 septembre 2016, le comité européen des droits sociaux, chargé du contrôle du respect de la charte a considéré que la mise en place d’un barème des indemnités prud’homales violait l’article 24 de la charte.
Que le comité rappelle qu’en vertu de la charte, les salariés licenciés sans motif valable doivent obtenir une indemnisation ou toute autre réparation appropriée. Les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu’il prévoit :
- le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours,
- les possibilités de réintégration,
- des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime.
Que tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne soient pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la charte.
Toutefois, en cas de plafonnement des indemnités accordées en compensation du préjudice matériel, la victime doit pouvoir demander réparation pour le préjudice moral subi par d’autres voies de droit.
Qu’il découle de cette disposition que, sauf s’il est possible pour le salarié d’obtenir un complément d’indemnisation, en plus du barème, par d’autres voies juridiques, la mise en place d’un barème impératif d’indemnités prud’homales est contraire à la charte sociale européenne.
Que, force est de constater que le barème des indemnités prud’homales tel que prévu dans l’ordonnance n° 2017–1387 et codifié à l’article L 1235–3 du code du travail ne permet pas aux salariés d’obtenir une pleine indemnisation du préjudice subi par eux, pas plus qu’il ne fixe des indemnités suffisamment dissuasives.
Que l’article L 1235–3 du code du travail, issu de l’ordonnance, dispose que :
« Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ».
Qu’il est expressément mentionné que les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ne peuvent dépasser les montants maximum fixés par le barème.
Que ces dommages-intérêts avaient pourtant, jusque-là, pour objet de réparer l’ensemble des préjudices résultant de la perte injustifiée de l’emploi, notamment ses conséquences morales, financières, matérielles, et personnelles.
Que ces préjudices subis par le salarié peuvent être supérieurs au montant maximum prévu par le barème.
Qu’il n’est, en l’état, pas possible pour le salarié d’obtenir, par une autre voie de droit, une indemnisation complémentaire des préjudices qui ne seraient pas couverts par le barème.
Qu’il ne lui est pas possible de saisir une autre juridiction pour obtenir cette indemnisation complémentaire puisque les litiges résultant d’un contrat de travail relèvent de la compétence exclusive du conseil des prud’hommes.
Que depuis la loi du 13 juillet 1973, l’action permettant au salarié d’obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse est exclusive de tout autre action sur le terrain de la responsabilité civile.
Qu’il ne lui est pas non plus possible de demander des dommages-intérêts spécifiques pour tel ou tel préjudice résultant de la perte de l’emploi puisque, précisément ceux-ci sont, en l’état, censés être couvert par les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, qui sont désormais plafonnés.
Que cette réparation complémentaire est donc impossible.
Que le barème est désormais un plafond pour l’ensemble des indemnités et donc des préjudices, qui découlent du non-respect par l’employeur de plusieurs de ses obligations résultant de la procédure de licenciement.
Que les maximums du barème sont fixés en fonction de l’ancienneté.
Que l’ancienneté est largement insuffisante à déterminer l’ensemble des préjudices réellement subis par le salarié.
Qu’un salarié avec une faible ancienneté pourra connaître des préjudices plus importants qu’un autre salarié avec une ancienneté plus importante.
Que dans le cas de Monsieur X, le barème prévoit un maximum de 3,5 mois de salaire, alors qu’il a été déclaré inapte à son poste par la faute de l’employeur.
Qu’il n’y a aucune dissuasion à verser 3,5 mois de salaire à un salarié injustement licencié pour inaptitude, cette dernière étant elle-même causée par la faute de l’employeur.
Que le plafonnement qui a pour objet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi, n’est pas suffisamment dissuasif.
Que le barème des indemnités prud’homales prévu par l’article L 1235–3 du code du travail est écarté car violant l’article 24 de la charte sociale européenne révisée et qui est directement applicable au présent litige.
Que pour les mêmes raisons, le barème est déclaré contraire à l’article 10 de la convention de l’OIT n° 158 sur le licenciement.
Que cet article dispose que :
« Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou tout autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
Que cela impose donc de tenir compte du préjudice réellement subi par le salarié pour fixer son indemnisation, indépendamment d’un barème fixé de façon générale, abstraite et qui ne permet pas la prise en compte de considérations personnelles propres à chaque salarié.
Que cet article impose au législateur de laisser au juge une liberté d’appréciation dans la fixation du préjudice subi par le salarié et donc l’indemnisation adéquate qui en découle.
Il n’existe pas de position du conseil d’État qui serait opposable au juge prud’homal sur la possibilité qu’il a de déclarer le barème comme étant inconventionnel malgré les décisions du conseil constitutionnel et du conseil d’État.
Que la Cour de cassation refuse de rendre un avis lorsqu’il est question de la conventionnalité d’une loi.
Que la Cour de cassation estime en effet que l’office du juge du fond doit au préalable intervenir pour statuer sur la compatibilité des dispositions internes aux textes internationaux.
Que l’article 55 de la constitution du 4 octobre 1958 indique que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont dés leur publication, une autorité supérieure à celle des lois».
Que si le conseil constitutionnel est compétent pour contrôler la conformité des lois à la constitution, le contrôle de conformité des lois par rapport aux conventions internationales appartient aux juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de cassation et du conseil d’État.
Que la Cour de cassation a établi que la convention n° 158 était « directement applicable » et a souligné « la nécessité de garantir qu’il soit donné pleinement effet aux dispositions de la Convention».
Que l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT, sur le licenciement, ratifiée par la France le 16 mars 1989, stipule que si les tribunaux « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou tout autre forme de réparation considérée comme approprié ».
Que l’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999 stipule « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître (…) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée».
Que le conseil d’État a jugé que les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne sont directement invocables devant lui.
Que le comité européen des droits sociaux, organe en charge de l’interprétation de la charte, s’est prononcé sur le sens devant être donné à l’indemnité adéquate et à la réparation appropriée dans sa décision du comité du 8 septembre 2016.
Que le comité a ainsi jugé que la loi finlandaise qui fixait un plafond de 24 mois d’indemnisation était contraire à la charte.
Que l’article L 1235–3 du code du travail disposent que « si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse (…) le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ».
Que le barème est fixé en fonction de l’ancienneté et de la taille de l’entreprise et peut aller jusqu’à un maximum de 20 mois.
Que l’article L 1235–3 du code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas au juge d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.
Que ce barème prévoit des montants totalement abstraits, fondés exclusivement sur l’ancienneté, mais sans jamais tenir compte de la situation personnelle, et parfois exceptionnelle, du salarié licencié.
Que l’ancienneté du salarié ne fait pas son préjudice.
Que dans le cas de Monsieur X, la barémisation des indemnités prud’homales va nécessairement amputer le salarié d’une partie de son indemnisation, le privant ainsi d’une réparation intégrale de son préjudice qu’il sera par ailleurs impossible, comme déjà indiqué, de récupérer, par d’autres voies juridiques.
Qu’en conséquence, il est incontestable que le barème des indemnités prud’homales prévu par l’article L 1235–3 du code du travail doit donc être écarté car violant le principe de réparation intégrale du préjudice ».
Pour l’intégralité du jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes du HAVRE (mis en ligne par ma consœur Michèle BAUER du barreau de BORDEAUX) :
Il convient de noter enfin, que par jugement du 10 avril 2019 (cliquez ici pour accéder au jugement), le Conseil de Prud’hommes de LOUVIERS a soumis, à la Cour de cassation, une demande d’avis sur la compatibilité entre l’article L 1235-3 et les conventions de normes supérieures (convention OIT et charte sociale Européenne).
Nous verrons ce que tranche la Cour de cassation, mais elle a jusque là, considéré que :
« Les questions en ce qu’elles concernent la compatibilité de la mise à la retraite, hors de l’accord du salarié, prévue par les dispositions de l’article L 1237-5 du code du travail, avec la convention n°158 de l’organisation internationale du travail relative à la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur, ne relèvent pas de la procédure d’avis (…) l’office du juge du fond étant de statuer au préalable sur cette question » (voir l’avis n°17011 du 12 juillet 2017).
En clair, cette question doit être tranchée par les Conseils de Prud’hommes (et ils sont maintenant nombreux à avoir écarté les barèmes), avant que cette question ne soit tranchée en appel, puis devant la Cour de cassation (mais hors la procédure d’avis).
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